Travailleurs saisonniers agricoles : Une cheville ouvrière dans la précarité !

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Avec l’arrivée de l’automne en Tunisie, les champs d’oliviers et les vergers se transforment en un véritable théâtre vivant. La saison des récoltes s’installe, et des milliers de travailleurs saisonniers envahissent les paysages pittoresques.

Femmes et hommes, venus principalement des zones rurales défavorisées, deviennent les acteurs essentiels de cette grande pièce agricole. Leur présence est indispensable pour la récolte des olives, des tomates, des dattes, et des agrumes qui font la renommée du pays. Pourtant, derrière ce spectacle vibrant se cache une réalité souvent méconnue et profondément préoccupante.

Travail vital, mais précarisé

Les travailleurs saisonniers sont les rouages invisibles de l’agriculture tunisienne, assurant la récolte des produits clés pour l’économie du pays. Bien qu’ils soient cruciaux pour l’industrie des exportations, leur quotidien est marqué par une précarité extrême. Sans contrats formels, ils sont privés de sécurité, d’assurance et de protection sociale, alors qu’ils représentent près de 15% de la population active et que l’agriculture contribue à environ 10% du PIB.

Cette réalité troublante met en lumière un contraste saisissant: ces travailleurs, essentiels pour nourrir la nation, vivent souvent dans l’ombre, marginalisés et pris dans un cycle de précarité incessant.

Recrutés par des intermédiaires appelés « courtiers » ou « mandataires », ces ouvriers naviguent dans un système informel qui favorise leur exploitation et le non-respect de leurs droits. La majorité d’entre eux sont des femmes issues des régions rurales les plus pauvres, migrantes de région en région selon les besoins des agriculteurs. Travaillant pendant des périodes courtes avec des salaires dérisoires variant entre 10 et 25 dinars par jour, ces travailleuses se voient souvent contraintes de s’endetter pour pouvoir joindre les deux bouts. Exposées à des conditions de travail ardues et à des trajets dangereux dans des véhicules inadaptés, voire insécurisés, elles sont régulièrement victimes d’accidents tragiques, comme celui de Sidi Bouzid en 2019. Ces incidents dramatiques soulignent leur vulnérabilité criante et une négligence manifeste à leur égard. Leur sécurité et leur dignité ne comptent pas beaucoup.

Efforts des autorités

Dans les coulisses des champs en pleine effervescence, les autorités tunisiennes s’efforcent de changer le vécu des travailleurs saisonniers. Alors que les récoltes battent leur plein et que les journées de travail s’allongent, une lueur d’espoir se dessine à l’horizon. Le 29 janvier dernier, la Tunisie a signé un accord avec la FAO, un partenariat ambitieux visant à changer la réalité des travailleurs agricoles.

L’accord, symbolisant une volonté de réforme, promettait de régulariser les contrats de ces travailleurs et d’améliorer leur accès aux soins médicaux. Dans une allocution empreinte de détermination, l’ancien ministre des Affaires sociales, Malek Ezzahi, avait, alors, souligné le rôle crucial des petits agriculteurs dans l’économie nationale et la sécurité alimentaire, affirmant que cet accord n’était que le début d’une transition vers un secteur agricole plus équitable et durable.

Dans ce contexte de changement, les avancées ne se sont pas fait attendre. Des initiatives concrètes ont été lancées. En effet, les programmes d’élargissement de la couverture sociale, incluant des soins de santé et des prestations sociales, ont vu le jour pour les travailleurs saisonniers et les pêcheurs. Les agences gouvernementales et les organismes locaux ont bénéficié de formations pour améliorer la gestion des programmes de sécurité sociale. En parallèle, des ONG locales ont intensifié leur collaboration pour assurer une mise en œuvre efficace sur le terrain, et des formations sur les techniques agricoles modernes ont été introduites pour alléger le fardeau du travail. Un système de suivi a également été mis en place pour évaluer les impacts et ajuster les programmes.

Cependant, malgré ces avancées, les syndicats agricoles maintiennent leurs revendications. Ils réclament une réforme en profondeur, plaidant pour des conventions collectives qui garantissent des salaires décents, des conditions de travail dignes, et une couverture sociale étendue pour ces travailleurs souvent laissés pour compte. Ainsi, alors que les champs continuent de vibrer au rythme des saisons, la Tunisie s’engage dans une quête de justice sociale pour ses travailleurs agricoles. Les efforts en cours représentent un pas vers un avenir où les efforts de ces hommes et femmes seront mieux récompensés et rémunérés.

Initiatives à saluer

Certaines initiatives locales et associatives méritent d’être saluées. Les ONG locales, en partenariat avec des organisations internationales, ont pris le relais pour illuminer le chemin de ces travailleurs. A travers des programmes de sensibilisation innovants, elles s’efforcent de dévoiler aux travailleurs les mystères de leurs droits. Ces initiatives ont pour but de les informer sur les protections légales qui leur sont accordées et de promouvoir des conditions de travail plus sécurisées.

Dans cette quête de justice, les travailleurs découvrent peu à peu qu’ils possèdent un arsenal de droits pouvant transformer leur quotidien. Parallèlement, un autre volet de ces initiatives se concentre sur l’amélioration des compétences des travailleurs agricoles. Des organisations telles que l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap) et la FAO se sont engagées dans des sessions de formation captivantes. Ces ateliers, véritable vivier de savoir, enseignent des techniques agricoles modernes et des pratiques de récolte optimisées.

Un défi à relever !

A l’heure où les récoltes s’achèvent et où l’on prépare la prochaine saison, la question des travailleurs saisonniers agricoles refait surface et doit être placée au cœur des débats sociaux. Leur précarité actuelle représente un défi majeur pour l’avenir de l’agriculture tunisienne, un secteur vital pour l’économie du pays.

Améliorer leurs conditions de travail, leur sécurité et leurs salaires n’est pas seulement une question de justice sociale, c’est aussi une nécessité pour garantir la viabilité et la durabilité du secteur agricole en Tunisie. Sans ces travailleurs, les récoltes ne pourraient être menées à bien. Leur rôle mérite donc d’être reconnu et valorisé, tant par les autorités que par la société tunisienne dans son ensemble. Pour beaucoup, l’espoir réside dans une réforme profonde du secteur agricole, qui passe par une meilleure réglementation de l’emploi, la reconnaissance des droits des travailleurs, et une plus grande transparence dans les pratiques de recrutement. Mais, pour que ces changements deviennent réalité, il est impératif que le gouvernement, les syndicats et les associations locales unissent leurs efforts pour faire entendre la voix de ces travailleurs oubliés. Pour d’autres, il est essentiel d’attirer les investisseurs, car la modernisation du secteur du transport est cruciale pour améliorer les conditions de travail de ces travailleurs saisonniers. Soit un mode de transport moderne et efficace qui  facilite non seulement l’accès aux sites de travail, mais optimise également le transport des produits agricoles vers les marchés, réduisant ainsi les délais et les coûts. Cette amélioration des infrastructures permettrait aux travailleurs de bénéficier de conditions de travail plus sûres et de meilleures opportunités économiques. Pour que ces investissements soient fructueux, l’Etat tunisien doit simplifier les procédures fiscales et offrir des incitations financières aux entreprises de transport. Un soutien fiscal et administratif adéquat encouragera les investissements nécessaires à une modernisation efficace, améliorant ainsi la compétitivité du secteur agricole et le bien-être des travailleurs saisonniers. Alors que les discussions se poursuivent sur la réforme de ce secteur, l’automne tunisien continuera d’être marqué par la dure réalité des champs, où les travailleurs saisonniers espèrent un futur meilleur, loin de la précarité et de l’exploitation qui définissent aujourd’hui leur quotidien.

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